Notre série sur les lieux mythiques des classiques avec Mathieu Criquielion, le fils de Claudy : “Papa montait le Mur sur un braquet impressionnant !”
Double vainqueur et premier lauréat au sommet du Mur de Huy, Claudy Criquielion avait un lien fort avec la classique wallonne. Mathieu, son fils, évoque ses souvenirs et le virage… Criquielion.
- Publié le 17-04-2024 à 06h40
- Mis à jour le 17-04-2024 à 07h44
Si elles pouvaient parler, on entendrait sans doute ce mercredi de nombreuses jambes se plaindre. Le chemin des Chapelles, à Huy, se transformerait en véritable Mur des lamentations dans le final de la Flèche wallonne, féminine ou masculine. Avec un flot de prières pour que la douleur prenne fin. Pour que le sommet du Mur de Huy soit atteint. Cette montée abrupte, raide, porte bien son nom de mur ! “Même à pied, on le sent !” souffle, en rigolant, Mathieu Criquielion, en plein milieu du virage… Claudy Criquielion. Le fils de l’ancien champion du monde est venu dans la célèbre montée hutoise et dans la courbe qui porte le nom de son papa pour nous présenter ce lieu mythique du vélo. Un endroit qui lui rappelle de bons souvenirs.
”La Flèche wallonne reste à part dans la famille, pose-t-il d’emblée. Papa a gagné de belles courses, il a un solide palmarès. Mais il y a un lien particulier avec la Flèche, puisqu’il l’a remportée deux fois. Il a gagné la première fois en 1985, lors de la première arrivée au sommet du Mur de Huy. C’était en plus avec le maillot de champion du monde… Je n’avais que quatre ans à l’époque. C’est marrant, j’ai plus de souvenirs de sa victoire au Mondial l’année précédente (NdlR : en 1984, à Barcelone). Par contre, sa deuxième victoire à Huy, toujours au sommet du Mur, je m’en souviens comme si c’était hier !”
Papa a gagné la Flèche deux fois comme coureur et deux fois comme directeur sportif. Avec la ... technique Criquielion dans le Mur !
Qu’est-ce qu’il lui revient en tête ? “Je me souviens de sa façon de monter le Mur de Huy. Avec un braquet énorme, contrairement à maintenant… Aujourd’hui, les coureurs tournent beaucoup plus les jambes. Je me souviens de la façon dont il entamait ce virage, toujours bien à l’extérieur. C’est comme ça qu’il a piégé Steven Rooks, qui avait pris l’intérieur de ce virage alors que lui passait vraiment à l’extérieur. Quand Rik Verbrugghe et Mario Aerts ont gagné également la Flèche wallonne, avec papa comme directeur sportif, ils ont monté le mur de la même façon. C’était un peu la technique Criquielion ! Papa l’a donc remportée deux fois comme coureur et deux fois aussi comme DS (chez Lotto).”
Était-il dans le Mur pour voir son papa s’y imposer ? “Non, devant la télé, répond-il. On n’allait pas sur place à la Flèche. Par contre, on allait tout le temps à Liège-Bastogne-Liège, car on logeait chez Joseph Borguet, ancien coéquipier d’Eddy Merckx, avec qui mon papa a commencé sa carrière, chez Kas, et avec qui il s’entendait bien. À Liège, on recoupait le parcours pour voir la course plusieurs fois.”
Le virage Criquielion
Liège. Ce monument que le "Criq" a longtemps chassé, s’y classant deux fois deuxième, une fois troisième, deux fois quatrième, mais aussi septième, onzième, quatorzième ou dix-septième ! “Son rêve, c’était effectivement de gagner à Liège, mais il aurait été très déçu de ne pas avoir remporté la Flèche wallonne… Voir ce virage au nom de papa, c’est d’ailleurs un très bel hommage. C’est là qu’il a fait ses différences. Il a une stèle dans la côte la plus dure de Belgique, le col de Haussire, à La Roche-en-Ardenne. Et il en a une autre ici. Cela montre qu’il a marqué le monde du vélo. Et qu’il est associé au Mur de Huy.”
Mathieu Criquielion, qui a aussi été coureur professionnel, remportant la kermesse de Viane, est resté connecté au monde du vélo. Ancien chauffeur VIP de l’équipe Intermarché-Wanty (il a roulé dans la structure de Jean-François Bourlart), il travaille au magasin Want You Bike, à Tournai (où il y a le service course de l’équipe wallonne du World Tour) et organise le… Grand Prix Claudy Criquielion, qu’il a fait monter à l’échelon de course pro (pour ses deux éditions avec le statut d’épreuve de première catégorie, la course de Lessines a été remportée par deux coureurs d’avenir : Sam Welsford et Alec Segaert). Il se rend régulièrement compte, encore aujourd’hui, de l’impact qu’a eu son papa sur la planète cyclisme. “Tout le monde ne sait pas, en me croisant, que je suis son fils. Quand les gens l’apprennent, ils viennent discuter des souvenirs. Avec souvent les mêmes points de contact. “Beaucoup ont suivi sa carrière (NdlR : Jean-François Bourlart, manager d’Intermarché-Wanty, était un de ses grands supporters !) et me disent souvent que c’était quelqu’un de bien. Quasiment à chaque fois, Renaix est évoqué…”
L’incident de Renaix
Soit le Championnat du monde 1988 que Claudy Criquielion aurait sans doute remporté s’il n’avait pas envoyé dans les balustrades par Steve Bauer… “Mais Liège arrive souvent dans les conversations. Et la Flèche wallonne et le Mur de Huy également.” Comment avait-il vécu l’incident de Renaix ? “On était sur place avec maman. Au début, je ne me suis pas rendu compte de ce qu’il s’était passé. J’étais jeune, j’avais sept ans. Ce n’est que lorsque j’ai vu les gens devenir vraiment méchants que j’ai compris qu’il s’était passé quelque chose. Cela criait, cela hurlait, cela sifflait… Je me rappelle que Bauer avait dû être escorté, sinon, il aurait été lynché ! Papa n’en reparlait jamais, ensuite. Mais il avait l’esprit blagueur, dont j’ai hérité. Quand on partait aux courses et qu’on passait par là, je lui disais : 'hey, t’as vu ? Il y a un creux dans la route'… Il en rigolait.”
Cette montée est un calvaire : peu importe comment tu la montes, tu sais que ça va faire mal.
Ils seront peu à rigoler dans les pentes infâmes du Mur de Huy ce mercredi. Sauf le vainqueur, une fois sur le podium, après avoir récupéré d’un effort aussi intense que violent. “C’est vraiment une côte particulière, poursuit Mathieu Criquielion. Je l’ai montée en course sur le Tour de Belgique et le Tour de Wallonie, quand j’étais chez Landbouwkrediet. Et je l’ai franchi en échappée sur un Tour de Liège (NdlR : en compagnie de son coéquipier Thomas Degand, futur vainqueur final en 2009). C’était particulier pour moi de le franchir à l’avant, avec le passé de papa dans ce mur. Mais quel que soit le contexte, cette côte fait toujours mal. Même pour les gens qui l’aiment, c’est un calvaire ! Tu ne sais pas la monter à l’aise. C’est impossible. Même si tu veux la monter doucement, tu te retrouves à 180 pulsations par minute. Il y a des montées que tu peux gérer, avec des moments de récupération. Pas ici. Peu importe comment tu la montes, tu sais que ça va faire mal aux jambes. Pour les pros, mais aussi pour tous les cyclistes qui y passent. Cela rend aussi cette course particulière. Une course d’attente. Une vraie course de côtes. Tu ne peux pas brûler une cartouche. Il faut s’économiser au maximum pour arriver le plus frais possible à la dernière ascension. Et lâcher les chevaux.”
Mathieu Criquielion reste passionné par le vélo. Et il ne ratera rien de l’édition 2024 de la Flèche wallonne. “Le vélo est très présent dans la famille. Ce sport est ancré chez nous ! J’ai deux enfants de 6 et 13 ans. Le plus grand a commencé à faire des courses. Je ne l’y ai pas poussé. Au contraire ! Car je sais que ce n’est pas évident. Ce sport est déjà difficile, à la base, et demande beaucoup de sacrifices. Mais c’est encore plus compliqué quand tu as un nom. Il porte aussi celui de mon papa… Beaucoup de gens pensent que cela facilite les choses d’avoir un nom connu, mais ce n’est pas le cas. Ça va le suivre aussi. Je me souviens de ma première course. Je n’avais jamais mis un dossard de ma vie et j’entendais les parents des autres jeunes dire : c’est le fils Criquielion, il faut prendre sa roue !
Vainqueur du Mondial, du Tour des Flandres, de la Clasica San Sebastian, du Tour de Romandie, troisième de la Vuelta, cinquième du Tour de France et double vainqueur de la Flèche wallonne : Claudy Criquielion était un champion. “Forcément, comme j’ai été coureur pro et que j’ai été son fils, il y avait toujours la comparaison, mais je suis quelqu’un de calme, je ne suis pas stressé et je n’avais pas tendance à écouter ce que l’on disait autour de moi.”
Ce mercredi, c’est avec fierté qu’il entendra le nom Criquielion résonner à de nombreuses reprises, sur cette classique wallonne que son papa a marquée de son empreinte.